Murièle Modély

Dans le cadre des Vases communicants (le premier vendredi du mois, chacun des participants écrit sur le blog d’un autre), j’ai le plaisir de recevoir pour la seconde fois Murièle Modély :

Miro – Chanson des voyelles (1967)


Un jour
Je cesserai d’écrire
n’aurai plus rien à dire
nada
nothing
nichts
quelques mots
des peaux mortes
peluchant sur la langue

Je serai toute sèche
le crâne momifié
bouilli
réduit
moisi
la tête vide
les yeux clos
branlant sur les épaules

Je ne pourrai plus feinter
des mâchoires du cerveau
racler les os
pour en tirer le suc
avec une cuillère

le vieux bout
de cervelle
qui aurait
(peut-être)
un dernier
(qui sait)
mot
à
dire

qui
…..;;.;que
;;;;;;;;;;;;;;;;;si
;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;non

*

Non ?

Pour pouvoir dire, je lis. J’achète des livres et je lis. J’emprunte des livres et je lis.
J’essaie par tous les bouts de combler mon retard, des siècles et des siècles perdus dans les broussailles.

J’avale page à page des kilos de papier. Je déchire en morceaux, le plat supérieur, le plat inférieur, les contreplats, les tranchefiles, les gardes marbrées, les feuilles froissées. J’émiette, je mâche, je déglutis. La bouillie peine à fondre dans le jus de salive. J’essuie mécaniquement d’un revers de la main, le filet de culture qui tombe entre mes seins. Je dois tout avaler, ne pas perdre une goutte, même pas l’encre bleue qui s’infiltre en naevus sur ma langue poisseuse.

Ca descend.
Mon ventre enfle.
Je crois que je digère.
Mais c’est juste l’overdose. Mon corps hypertrophié de trop de cellulose.

Je m’en fous.
Mes yeux, ma bouche, mon nez : je veux tout barbouiller.
Etaler sur ma face, ma gueule de limace, les mots lus, entendus, mal compris, en désordre, recrachés, de travers.

Je cravache, je besogne, je suis en ahanant ceux qui savent.
Je ramasse, l’air de rien, ce qu’ils laissent, derrière eux. J’assemble vite vite deux trois jolies formules.
Il n’y a pas de miracle. Mes mots suintent encore une odeur de ranci.

J’insiste, je recommence, j’enfonce mes deux doigts tout au fond de ma gorge. Toujours pas le miracle.

Non.

Je ne peux que vomir mon étique pensée.


Pour ce qui est de mes mots, c’est de ce côté-ci

et quant à la liste de tous les  auteurs qui se prêtent au jeu, c’est par . Bonne lecture !

A propos Morgan Riet

Né en 1974 à Bayeux dans le Calvados. Y réside toujours. Ecrit parfois. Textes publiés dans les revues suivantes : Décharge, Comme en poésie, Cairns, Ecrit(s) du Nord, Recours au poème, Créatures, L'Air de rien, Gros Textes, Spered Gouez, Terres de femmes, Friches, L'Autobus,Wham !,La Piscine, Traction-brabant, Coup de soleil, Microbe, Terre à ciel, Poésie première, Florilège, A l'index, Le Capital des mots, Francopolis, Meteor, Touroum bouroum, Mauvaise graine, Poésie/Seine, les Nouveaux cahiers de l'Adour, Inédit Nouveau, les Tas de mots, Libelle, Ce qui reste, Fenêtre sur poésie, les Amis de Thalie, 17 secondes, l'Herbe folle, les Cahiers de poésie, les Cahiers de la rue Ventura, Verso et Paysages écrits *** Recueils et plaquettes : "Lieu cherché, chemins battus" (éd. Clapàs - 2007), "En pays disparate" (même éditeur - 2010)," Midi juste environ" (auto-édition - 2011), Du côté de Vésanie, illustré par Matt Mahlen (éd. Gros textes - 2012), ça brûle (-36° édition - 2012), "Quelque chose", photos de David Lemaresquier (éd. Les Tas de mots - 2013), "Vu de l'intérieur" , illustré par Hervé Gouzerh (éd. Donner à voir - 2013), "A fleur de poème", illustré par Matt Mahlen (même éditeur - 2016), "Sous la cognée" (éd. Voix tissées - 2017), "Chute de fiel / Sang & Diesel" (éd. Gros textes - 2018), "Du soleil, sur la pente" (éd. Voix tissées - 2019), "Suite florale" (éd. Le Cercle et le Carré – 2019), livre d’artiste tiré à 20 exemplaires composé de 15 estampes (15 artistes différents) et d’un court poème accompagnant chacune d’entre elles. "Ou serait-ce autre chose ?", image de David Lemaresquier (Christophe Chomant éditeur - 2020), "Pas par quatre chemins" illustré par Hervé Gouzerh (éd. Donner à Voir - 2021), "Toi, moi, miroir, etc." (Christophe Chomant éditeur - 2024). Ouvrages collectifs : "Visages de poésie" - tome 6 - de Jacques Basse (éd. Rafael de Surtis - 2012), "L'insurrection poétique" - collection Po&vie (éd. Corps Puce - 2015), "Perrin Langda & compagnie (Mgv2>publishing - 2015), "Arbre(s)" (éd. Donner à Voir - 2016), "Dehors, recueil sans abri" (éd. Janus -2016), Au fond des yeux #2 – Yvon Kervinio (éd. l’aventure carto – 2017), Duos – 118 jeunes poètes de langue française né(e)s à partir de 1970 – Anthologie dirigée par Lydia Padellec – Bacchanales N° 59 (Maison de la poésie Rhône-Alpes - 2018), "Jardin(s)" (éd. Donner à Voir - 2019), Nature & poésie – Bacchanales N°63 (Maison de la poésie Rhône-Alpes – 2020) et Ralentir (éd. La Chouette imprévue – 2020).
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10 commentaires pour Murièle Modély

  1. saiphilippe dit :

    y a pas ! elle est forte !

  2. brigetoun dit :

    bellissimo – dommage que par contre elle ne mette pas en ligne le billet de celle qui la reçoit

  3. Beau texte. Buvez quand même un peu d’encre pour faire passer tout ce papier.

  4. Wow… un régal de lecture.

  5. lutine dit :

    J’avais déjà lu à sa place, juste dire que ce texte m’a interpelée, reconnue là, j’avais donc mémorisé, c’est un signe.

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