Il s'agit d'une petite collection conçue par l'artiste Matt Mahlen. Chaque livret (format A6) réunit un texte court d'un auteur et une linogravure de Matt. Au lecteur ensuite de le déplier pour pouvoir lire et voir l'ensemble (recto et verso au format A3). Prix libre.
Illustration de la couverture du livret auquel je participe avec un poème intitulé « Cet homme » (Matt m’a dit s’être inspiré de Georges Rouault pour ce visage)
Un extrait :
Je voudrais répondre en ami
au bruissement des saules ce soir,
aux rayons timides,
au vent venu tourner
les pages d'hortensias,
remercier ce qui
m'illumine
et me fait peur,
ce qui chante
et me lapide,
consentir
aux transparences,
aux foisonnements,
à la mort même
trouant cette page,
à ce qui fut
comme pour l'éternité
ma vie d'une journée.
Loin du vacarme,
loin du tumulte,
loin du tohu-bohu,
profond échange
tout en légèreté libellule
avec le ciel, les arbres,
les ramages, les bruits sourds, les ornières
et les vaches splendides
dans les prés verts.
Et moi, déjà,
paissant, broutant,
ailleurs –
en contrepoint des paysages traversés –
je ne puis m’empêcher de jeter au passage
un clin d’oeil appuyé
à ce poète qui se lie
facile, en filigrane, au fil
de ma joie simple
comme beau jour d’avril.
L’autre matin,
réveillé soudain, éjecté
d’un rêve au fond duquel
j’étais en train
ou peut-être en voiture,
ou en bateau, ou en avion…
j’étais en train – en tous les cas –
d’écrire
quelque chose. Mais impossible
de savoir quoi, malgré
tous les plissements de mon âme
pour… Méandreusement,
j’arrivais tout au plus
à me souvenir – enfoui sous mes draps
en forme de voyage
avorté – à visualiser
seulement une page, une feuille,
une danse dessus
et, dessous un rideau
lourd et opaque
quelque chose, un poème
probablement
mon plus beau, mon plus vrai
à tout jamais perdu au fond de moi.
Tu n'aurais pas eu
besoin de te lever
le jour l'avait fait pour toi
Le jardin presque en congé
ce matin de ta joie
Mais il fallait ta seule main
pour tourner la poignée
ouvrir la fenêtre
pour t'unir au midi.
Alexis Bernaut
Lire.
Se lever dans la maison silencieuse.
Encore peinte de sommeil, ouvrir la fenêtre et regarder
le ciel gris.
Respirer.
Le rituel se met en place.
Les oiseaux, comme de minuscules traits de pinceaux,
passent dans la grande page vierge du matin.
Tantôt par myriades.
Tantôt solitaires.
Beaucoup s'arrêtent sur les grandes branches du merisier.
Chaque matin, il y a le même merle sur la même branche,
qui me regarde.
Flora Delalande
« Nouvelle ère 3« , acrylique et pastel sur canson A4, 2017 – LaOdina
L'arbre est nu
dans la circonférence
le pas se fait précis
sur le chemin.
Tenir le pinceau
et tracer au rouge
la Voie.
L'eau apaise
la brûlure
d'une trop intense
présence.
Ainsi s'équilibrent
les contraires.
Espace du dedans
espace du dehors
cohabitent désormais.
Valérie Canat de Chizy
Ombres de Miró, de Matisse,
on parle d'amour et de mort
d'amor et de sang
dans la chair rouge de la toile ;
l'épaisseur de son silence.
Dehors le monde s'efforce
à être ce qu'il est
le crépuscule fait ce qu'il peut.
Jean-Claude Tardif
Caen, une fin
d’après-midi
en mars,
désert quasi
ouaté d’ennui
où que l’on aille.
Tout est fermé, de fait,
hormis les bars et les cafés.
Mais, comme moi – main dans la tienne –
il me semble que les rues rêvent
(c’est toujours ça de pris !)
en nous tendant leurs bras mélancoliques
entre lesquels – l’entrevois-tu aussi ? –
courent nos parts
d’ombre et de lumière,
et peut-être un peu – l’entends-tu de même ? –
quelque chose comme un air de Satie,
lent, vaporeux, couleur de pluie légère,
pour venir jouer avec elles
et le sable de nos plages intimes.
Les éditions Donner à Voiry seront présentes le samedi 26 mars de 10 h à 17 h. Le stand sera tenu par la bande de poètes que voici : Michel Lautru, Danielle Georges et Jean-Claude Touzeil
... Le programme complet (animations, auteurs et illustrateurs invités) ci-dessous :
Quelques extraits :
Sur la porte de la chambre 127
De la maison de retraite où ma mère
Coule les jours de ses nonante
Un mauvais poème est affiché
Ni les vivants ni les morts ne méritent
De mauvais poèmes le prétexte de celui-ci
Je l'apprends en lisant au-dessus du poème
Monsieur... nous a quittés le six février
Son nom le même que le prénom de mon père
C'était un vieux monsieur que j'avais l'habitude
De croiser au fil des dimanches
La porte de sa chambre ouverte sur la télé
*
Ce sont des tisanes à base de plantes
Moringa gingembre racine de réglisse
Menthe pétales d'hibiscus tronçons de grenade
Séchées fraise cannelle pommes des infusions
Concoctées en Inde acquises en Guadeloupe
A mon intention par ma fille pas un instant
Je ne doute de leur efficacité
Tant elles contiennent l'amour qui fait des miracles
*
Il suffirait de briser sa coquille pour
Avoir accès au langage aux mots justes
Sur la page jus noir des signes paragraphes
Serrés colonnes pleines mais le silence
Auquel on est condamné quand de la bouche
Ne sort que de l'absence et qu'on se cogne
A la dure paroi translucide qui nous
Sépare des autres toujours en recherche
D'une trouée libératrice où on aurait
Enfin les mots faire cesser la malédiction
De l'enfermement du mutisme de l'enfance
Grandir s'ouvrir être avec ceux qui nous bordent
Comme avec ceux des lointains dire pour vivre
Enoncer ce qui au-dedans étouffait
Va maintenant à la rencontre par la mise
En mots donnés à tous par la parution
De la partition singulière que chacun
Joue sur le clavier linotypique de la vie
Un extrait :
Georges Méliès (1861-1938)
Le rideau se lève. Il frappe dans ses mains. La scène est
vide.
Robert-Houdin est mort depuis longtemps. Dans les sous-sols
de son théâtre.
Passage de l'Opéra, ses machines magiques ruissellent de
poussière.
La bouteille inépuisable est tarie. La chauve-souris omnisciente
se tait.
Paris sort en bâillant des Illusions fantastiques. Le chirurgiendu crâne
est sifflé. Le rêve d'un astronome ne fait plus recette.
La tête tranchée est un four. La baraque foraine s'est éteinte.
Déconcerté, le maître a une idée.
Il frappe dans ses mains. Un pavillon de verre à Montreuil
se déploie
comme si le déployait la main des esprits. Un palmarium.
Une ménagerie.
Des lampes à arc jaillissent du parterre. Des palans montent.
Des jalousies s'enroulent et se déroulent. Sur des chevalets
et des trépieds,
mouvement de boîtes métalliques, de manivelles et de
lentilles. Des draps flottent.
Des clapets tombent. Un studio entier sort de terre et s'étend,
chambres noires,
décors, maquettes, coulisses, costumes : une machinerie à
produire des miracles,
une usine à fabriquer des esprits.
Votre métier et le mien - guèrede différence dit Apollinaire.
Le maître installe, écrit et visse. Il peint et tourne.
Il coupe et coud. Il bricole. Il construit. Il développe.
Il martèle, il mélange, il copie, il fait tout lui-même et
répond : Je suisun travailleur à la fois manuel et intellectuel. Il tient le rôle
de sept musiciens,
tout un orchestre à lui tout seul. Il frappe dans ses
mains.
L'écran s'obscurcit. Le celluloïd avance par à-coups.
Il est le premier, toujours le premier.
Le projecteur tourne. Une auto apparaît, s'arrête et
se transforme
en un corbillard. Quatre clowns blancs se transforment en
un nègre géant.
Tout se transforme en tout à toute allure. Puis l'explosion.
Puis l'éclatement en mille morceaux. Le film est terminé.
Le cinéma commence.
Les Chants de Maldoror dansent sur la paroi blanche. Au
plafond
se promènent des savants. Des horloges crachent des
démons. Un opiomane rêve.
Des parapluies jaillissent des dames. Gulliver rapetisse et
grandit.
La première réclame fête la moutarde Bornibus.
D'une valise qui sort d'une valise sortent d'innombrables
valises.
Tous les désastres du progrès défilent sous forme de
cauchemar, de slapstick,
de féérie. Le maître frappe dans ses mains. Tout maintenant
s'éclaire.
Il a tout inventé. Le plan fixe. Le fondu enchaîné. Le
scénario.
La surimpression. L'animation. La surexposition. Le studio.
Ses inventions sont comme une mer qui le submerge, phosphorescente,
en noir et blanc. Coloriées à la main, des filles avec des
petits pinceaux colorient l'image.
Ce qui passe là, c'est le premier film en couleurs.
Il frappe dans ses mains. Il imite l'encore-jamais-vu :
L'explosion du cuirassé Maine devant la Havane. Le Procès Dreyfus.
L'éruption de la montagne Pelée et Le couronnementd'Edouard VII d'Angleterre ;
Le producteur met au point l'histoire en studio. Tout est
beaucoup mieux,
plus beau, plus exact et plus authentique qu'en réalité ! Un
démiurge, dit-on,
un mage, un alchimiste de la lumière ! Soit. Mais il n'en a
pas du tout l'air,
avec son bouc, sa moustache et son embonpoint, chauve et
jovial,
il fait plutôt directeur d'un cirque de puces.
Il frappe dans ses mains. Le théâtre alors tout entier
s'effondre.
Les films brûlent. Les machines se transforment en ferraille.
C'est la ruine.
Les décors vont en sautillant à la décharge. Une avalanche
de suie ensevelit l'inventeur.
Un rouleau compresseur l'aplatit sur le pavé. Quelle
tragédie. Dix années passent.
Dans un kiosque gare Montparnasse est assis un très vieil
homme.
Il vend des jouets, des bonbons et des petites trompettes. Il
frappe dans ses mains.
Personne ne se souvient. Rien ne se produit. C'était son dernier
truc.
Il a disparu instantanément.
Mais...
qui ne l’a jamais vu ?
Qui ne le connaît pas
ici,
cet homme ?
Souvent assis
au même endroit,
à l’entrée d’une supérette,
il semble attendre,
sans surprise,
que passe
et repasse – piéton aveugle –
le temps.
Et sans autre domicile
fixe
qu’un fond fou de rêve, il arrive
qu’il déambule en ville,
soliloquant parfois,
comme en pleine querelle
ou comme interpellant
le ciel, le vent… je ne sais quoi…
armé juste d’un tourbillon
de grands gestes menaçants dans les airs.
Mais...
qui a déjà vraiment
pris jamais le temps
d’accrocher, de saisir une once
de son regard ou bien
de son sourire infime,
tandis que lui, au loin,
l’ancre il y a longtemps
jetée nulle part ?